Qu’est ce que le Tantra?
Qu’est ce que le Tantra peut nous apporter aujourd’hui et comment en faire la découverte? Gérard Longuet ostéopathe et animateur de stages de Tantra depuis 40 ans et Nathalie Giraud-Desforges sexothérapeute et animatrice elle aussi, se sont prêtés au jeu des question de Corinne Fontaine, sexothérapeute et pour cette fois-ci un peu journaliste.
Le Tantra est une forme de yoga
Pour Gérard Longuet, le Tantra est en premier lieu une forme de yoga, c’est à dire avant tout un enseignement basé sur l’expérience pratique et dont l’objectif principal est la recherche de l’union de soi à soi (avec soi-même). La philosophie tantrique engage le/la pratiquant.e dans sa globalité c’est à dire que la personne entre dans la pratique avec toutes les parties de lui/elle: son corps comme outil et aussi théâtre de son expérience. Il/elle y entre également avec son système d’énergie et avec sa conscience. L’expérience d’une nouvelle coopération entre les différentes parties de soi : corps, énergie et conscience, permettent une ré-intégration progressive qui impacte directement sa capacité relationnelle et en conséquence la qualité de la relation. Il me semble utile, pour être clair, de préciser l’étymologie du nom. Tantra se décompose en « Tan » qui signifie « Le Tout » et « Tra » tisser. Plus qu’une méthode d’expansion de conscience, c’est un art de vivre, d’ouverture du coeur et un art d’aimer et de se relier à Soi et à l’Autre. Le Tantra traditionnel est un ensemble de courants spirituels issus des cultures de l’Inde, du Tibet, du Bhoutan, de Chine, d’Indonésie, du Népal qui existent depuis plus de 7000 ans. Ces techniques, longtemps orales, puis écrites en sanskrit, ont commencé à être appréciées en occident à partir des années 60/70. Ces courants véhiculent un enseignement si vivant, multiforme et adaptatif qu’ils ont naturellement trouvé une forme contemporaine parfaitement adaptée à nos questions et nos problématiques occidentales.
Le tantrisme ne sépare pas, il unit
Une des principales problématiques qui se pose à nous occidentaux, est la nécessité impérative de recréer du lien, de la relation. Tout d’abord, en commençant par de la connexion avec soi puis entre soi et le monde. En fait, 4 points de ruptures relationnelles se sont insidieusement cristallisés au cours du temps en occident. Tout d’abord, une évolution de nos croyances nous a fait considérer le corps et l’esprit comme deux entités séparées. Cette séparation entre ces deux parties de nous a matérialisé la déconnexion du corps et de l’esprit. Ensuite, notre culture a opposé la séparation du monde affectif et celui et de la sexualité. Il s’en est suivi une difficulté à garder en connexion équilibrée entre notre coeur et notre sexe. Puis, ce sentiment de rupture interne s’est cristallisé par la conviction d’être séparé de la nature. Cette attitude est venue renforcer et légitimer nos besoins d’individus au détriment du collectif et de la nature. Ce mode de fonctionnement a pour conséquence d’affecter directement le sentiment d’unité de l’individu. Et crée un sentiment de séparation entre soi et le monde avec la création d’un « espace » intérieur et un extérieur. De ces différentes croyances sur soi et sur le monde et les modes de fonctionnements qu’elles génèrent une fois acquis, en découlent des dysfonctionnements relationnels voire pathologiques auxquelles la pratique du Tantra, dans son interprétation contemporaine, peut apporter des réponses concrètes satisfaisantes. La pratique Tantrique, permet de tisser de nouvelles connexions entre notre corps, l’énergie et la conscience. Elle invite l’être humain à élever son niveau de conscience, la compréhension de soi et du sens de l’existence en même temps que son niveau d’énergie vitale pour améliorer sa créativité.

Le corps comme temple de la rencontre avec soi
Notre corps est la clé de voûte de la cathédrale tantrique si on en croit André Van Lysebeth célèbre auteur sur le Tantra. Il recèle, dans ses profondeurs, des potentialités extraordinaires dont la plupart restent cachées ou en friche. Ces qualités ne demandent en fait qu’à s’éveiller et à se déployer. Dans la pratique, le yoga tantrique nous invite à utiliser toutes les situations, y compris les plus ordinaires de la vie comme par exemples : respirer, manger, penser, de déplacer, être en relation pour y mettre de la conscience et de la présence. Ce nouveau mode de fonctionnement, plus conscient, favorise la libération de notre énergie vitale profonde, aide à dénouer nos blocages émotionnels jusqu’à se rencontrer soi-même comme un être complet prêt à sortir de ses conditionnements. En amenant de la conscience et de la présence dans son corps, on gagne en «sensorialité», en fluidité, en énergie et en liberté.
Tantra et sexualité
La sexualité est souvent le point d’accroche des occidentaux avec la philosophie tantrique. Beaucoup envisagent le Tantra comme un moyen de devenir «plus performant.e» en sexualité. Du fait qu’elle soit très codifiée et conditionnée dans nos sociétés, l’activité sexuelle est souvent source d’incompréhension et de confusion et de grande frustration. La démarche tantrique modifie considérablement l’approche de l’acte sexuel. Elle redéfinie la nature même de la relation et de l’objectif de l’acte sexuel en proposant un recentrage fondamental en plusieurs étapes et fondée sur l’expérience. Un certain nombre de pré-requis sont nécessaires pour transformer ses relations sexuelles, entre autres :
- Prendre conscience de l’intelligence de notre corps, de sa capacité à ressentir, à apprendre
- Prendre la responsabilité de son désir
- Ne pas le projeter sur l’autre
- Revenir aux sensations du corps et à sa respiration pour ne pas se perdre dans les sensations
- Mettre de la conscience et de la présence dans la circulation de ses énergies vitales et émotionnelle en soi et avec soi
- Apprendre la contention pour remettre en circulation son énergie dans un circuit de verticalité, du bas vers le haut et vice versa
- Choisir de relier son sexe à l’espace du coeur et son coeur à son sexe
Alors de la sexualité souvent pulsionnelle et répétitive nait alors une méditation à deux, source d’élévation et de communion profonde dans un équilibre entre notre part réceptive et notre part active ou émissive. Nathalie Giraud-Desforges, qui a découvert le Tantra par la porte du corps, de la conscience et de la présence dans le corps est entièrement d’accord. Pour elle, le Tantra est très concrètement l’art de mettre de la présence dans nos actes. C’est se poser la question « qu’est-ce que je suis en train de faire? Comment est-ce que je suis en train de le faire ? Pourquoi? etc. » Mettre de la conscience dans le corps, écouter ce que l’on ressent, c’est donc « habiter sa pensée ». C’est relier ses sensations avec ce qui se passe dans la tête. Via différentes pratiques tantriques, on apprend à pleinement profiter du moment présent et à être dans le plaisir. Non pas un plaisir offert par l’autre, mais un plaisir dont nous sommes la source. L’autre n’est pas le guide dont on attend les réponses à nos besoins. Le guide c’est soi-même. Donc oui, le Tantra est un yoga dans le sens où le corps est l’invité et en même temps, le passage pour des sensations, les émotions et un ressenti pour être incarné dans ce qui se passe dans le corps. Le Tantra est donc un art de vivre, un art d’aimer, un art d’être présent à soi.

Le Tantra pour révéler le meilleur de nous-même
Gérard ajoute que le Tantra est un vrai chemin d’incarnation dans le présent, dans son corps. Une pratique continue de chaque instant au travers de prises de conscience successives se construit peu à peu un nouveau mode de fonctionnement plus harmonieux et plus conscient. Pour révéler le meilleur de soi-même, un certain nombre de prises de conscience sont nécessaire:
- Celles de nos processus internes, comment je fonctionne à l’intérieur de moi?
- Comment je fonctionne quand je suis en relation?
- Quel est mon mode de fonctionnement quand je suis dans la Nature?
- Puis-je agir sur mon système d’énergie dans ces principaux contexte et comment ?
Tantra et la Nature
Un autre élément déterminant dans la pratique Tantrique est celui de la Nature. Elle agit comme un révélateur extrême de nos comportements, en effet notre nature intérieure est comme un miroir de la nature extérieure. Par exemple, lorsque nous observons un paysage grandiose, la première chose qu’on ressent en « effet miroir », c’est la beauté, la puissance, l’espace, quelque chose de plus grand que nous qui nous dépasse et peut nous donner le vertige. Pour le Tantra, on ne pourrait pas percevoir cette grandeur, cette beauté si on ne les vivaient pas à l’intérieur de soi. Si le simple fait de rencontrer un beau paysage ne nous rend pas plus beau, cela nous met néanmoins en contact avec une dimension intérieure plus belle, plus grande, plus vaste de nous-même. La pratique Tantrique permet de révéler, de mettre en conscience, en pratique, en corps, nos qualités les plus lumineuses, les plus subtiles. L’expérience nous confirme que la lumière ne peut pas exister seule et qu’en même temps qu’apparaît la lumière se lèvent nos ombres! C’est la raison pour laquelle, la philosophie tantrique insiste sur la nécessité absolue de se relier au coeur. Cette reliance est la garantie, la boussole qui va nous aider à grandir en humanité. Un corps sain, un esprit sain, un coeur sain, une pratique sincère conduisent à une transmutation de notre énergie vitale et à une ouverture de notre champ de conscience, ainsi qu’au déploiement d’une créativité plus riche, tout en nous révélant à notre vraie nature.
Faire des choix en conscience
Le Tantra est une démarche à la fois créative, d’incarnation, de révélation de nos ombres et de nos lumières et qui nous met en situation de faire des choix conscients.

« On a toujours la possibilité de choisir l’ombre ou la lumière. Et je crois que si on choisit le camp de la vie, on peut choisir le Tantra sans se tromper. En entrant dans la notion de l’énergie ou de la vibration intérieure et en en prenant conscience. Nathalie souligne qu’elle a dû poser des limites à l’extérieur, et donc commencer à faire des choix. À dire NON d’une façon beaucoup plus franche et directe. Ces propositions de rencontre de soi et de l’autre l’ont amenée à poser un NON beaucoup plus conscient et éclairé et d’éviter de donner des OUI pour faire plaisir ou par peur, par exemple. Et donc, ce chemin vers nos croyances, nos ombres, amène cet éclairage sur nos mécanismes internes. C’est là la voie du Tantra qui est un chemin de guérison qui nous amènent à plonger plus profondément en nous-même »
— Gérard Longuet
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Ne plus se figer dans nos comportements
Gérard qui est ostéopathe ; une technique de soins qui vise à redonner de la mobilité et de la respiration dans le corps, voit dans le Tantra un complément indispensable à sa pratique pour amener de la conscience et de la compréhension en cas de stagnations ou de manque d’énergies. Par nos éducations, et notre façon de vivre, nous sommes très conditionnés. Nos croyances, nos apprentissages et aussi par nos expériences nous enferment dans des comportements répétitifs. Nous avons tendance à répéter et à rechercher les expériences agréables et en même temps, nous essayons d’éviter celles qui nous font souffrir ou nous déplaisent. Le Tantra est un outil d’éclairage et de prises de conscience de ces mécanismes.

« J’ai pris conscience dans ma vie personnelle, sexuelle, émotionnelle, relationnelle, familiale, combien je pouvais être conditionnée. Et toujours rechercher les mêmes expériences pour leur intensité et pour leur côté agréable. Passé le sentiment de culpabilité, ce fût une prise de conscience positive et libératrice. Le Tantra m’a permis de mettre en lumière la complaisance qui accompagnait mes conditionnements. Je me trouvais toujours de bonnes excuses, et quand où j’ai été en mesure d’y mettre plus de conscience, de faire ce qu’il faut pour remettre en circulation mon énergie plutôt que de la figer et entretenir avec complaisance des comportements appris, j’ai vraiment compris que s’ouvrait devant moi un champ d’expérience, un espace de liberté inimaginable. Je n’ai pas envisagé le Tantra comme un moyen de me guérir de quoi que ce soit, une thérapie ! Mais comme un exercice pratique qui m’a ouvert à une compréhension réelle de qu’est l’expérience d’être. »
— Nathalie Giraud Desforges
Bienveillance, respect de soi et recul
Nathalie ajoute que le Tantra lui a appris à s’accepter avec bienveillance et à voir que le regard qu’elle avait sur elle-même était extrêmement critique et ce, pour toutes sortes de raisons, de conditionnement, de croyances. «Si tu es une fille, tu ne dois pas trop te vanter… Si tu es belle ne soit pas trop intelligente… Tu peux être intelligente pas trop belle… »» Le Tantra nous apprend à nous regarder avec plus d’amour. C’est donc un chemin d’amour de soi-même et de respect. Grâce au focus sur le corps, plutôt que de se couper de la sensation désagréable et de fuir dans la tête, le Tantra propose de laisser monter la sensation et de la traverser. Au lieu de laisser de l’énergie stagner, cette attitude permet de remettre du mouvement en restant conscient.e du processus qui nous traverse. Que ce soit des émotions, des sensations, des jugements, etc. Et dans le même temps, le Tantra permet de faire l’expérience de ne pas être dans ce flot, de rester observateur ou observatrice avec bienveillance de ce processus. Sans s’identifier « Je ne suis pas cette partie qui est mauvaise ou qui est à éliminer. Je la regarde, je l’accueille et je l’aime et je m’autorise à utiliser cette énergie comme une énergie de transformation . »

L’énergie sexuelle peut dans certains cas être assez embarrassante. La plupart du temps on se sait trop quoi en faire et on va avoir tendance à la projeter à l’extérieur. Grâce au Tantra, cette énergie peut être accueillie comme étant une énergie vivante en soi. Cette énergie constitue un réservoir de vie tout puissant puisqu’il est là pour créer la vie. L’originalité du Tantra est de proposer d’accompagner cette énergie sexuelle autrement que dans la projection. Ce n’est pas seulement une métaphore. Car, effet, quand l’énergie sexuelle nous submerge la plupart du temps nous la projetons à l’extérieur. Nous « projetons » notre désir souvent sur l’objet du désir et non sur le sujet de notre désir, avec le risque de se perdre. La proposition du Tantra, c’est de prendre conscience de cette énergie et de l’accompagner dans sa transformation. C’est un processus d’allégement. Au départ. l’énergie est très concentrée voir explosive. Si on l’accompagne, par exemple avec la respiration ou avec la détente, cette énergie va pouvoir trouver un espace de respiration, se dilater et prendre une direction intérieure au lieu de prendre la direction de l’extérieur. Cette direction intérieure c’est celle de la verticalité et donc l’énergie va ouvrir d’autres centres, comme le coeur et l’esprit. Elle va venir notamment nourrir le centre du cœur. Peut-être aussi créer un lien entre l’espace de la sexualité et l’espace de la parole, qui en fait, devrait être habité par la douceur, non par la violence. Alors évidemment, quelque chose de très orgasmique peut déclencher des cris de joie mais la pratique tantrique va mettre de la fluidité dans ce processus, de la légèreté donc créer un lien entre la région du sexe, le cœur, la communication, la parole et puis une ouverture vers des espaces plus larges. On peut alors parler de non-dualité, c’est-à-dire la perception que nous sommes des individus ayant conscience de notre individualité mais en même temps en lien avec le Tout. On ne va plus se perdre dans la séparation, ni rentrer dans la fusion par exemple de la sexualité où on va se perdre dans l’autre, cela devient deux vagues ou deux arbres qui se rencontrent chacun avec sa profondeur, ses racines mais aussi son mouvement. Entrer dans la pratique tantrique est une promesse de grande liberté.

« Abordez l’acte sexuel comme si vous entriez dans un temple sacré. Considérez l’acte sexuel comme une prière, une méditation. Percevez son côté sacré. »
— Osho
La liberté dans le Tantra
Nommer les parties de son corps, les rencontrer toutes sans qu’il y ait de partie honteuse a aussi été une grande joie pour Nathalie. Dans notre éducation, il y a souvent une partie haute et noble : la tête, et une partie basse un peu sale ou honteuse… le corps et surtout le sexe. « J’ai pris conscience que mon périnée était un point d’ancrage pour moi. J’ai pris conscience qu’il était vivant. J’avais fait 50 séances de kiné de rééducation, des exercices de Kegel mais je n’avais pas conscience de mon périnée. Avec le Tantra, j’ai commencé à être plus attentive à ce qui se passe entre mes jambes et à ce moment-là, à pouvoir avoir cette conscience de l’énergie et ne plus avoir peur des sensations. J’ai appris à ressentir et aimer ces vagues d’énergie. » Et dans cette disparition de la peur, il y a de la détente donc du relâchement. Puis de la présence et de l’énergie qui circule librement. Il n’y a plus la sensation de perte. En effet, souvent dans l’activité sexuelle, il y a une espèce de vagues, de montée en puissance de l’énergie avec un paroxysme et puis ça déraille et tout derrière une chute très importante de l’énergie. En tant qu’homme, nous partage Gérard, « j’ai senti dans ma vie que l’apport principal du Tantra, c’était de me permettre d’accompagner cette montée de l’énergie en conscience de la maintenir plus longtemps, c’est-à-dire de surfer et accompagner la vague ». Cette vague, cette onde, peut effectivement être accompagnée en douceur, grâce à la volonté consciente. On se laisse porter par l’énergie et du coup il y beaucoup plus de présence, de disponibilité ou sensations, de sensations, d’énergie, et aussi plus de présence à l’autre. Dans l’espace amoureux, on apprend à devenir le mouvement. Ce qui veut dire que ce ne sont pas deux personnes qui font l’amour mais c’est l’amour qui se fait à travers deux personnes qui perdent aussi les limites, les frontières de leur volonté, de leur individualité. C’est donc l’amour qui est en mouvement. Dans notre culture judéo-chrétienne c’est une grande découverte de constater qu’il est possible d’entrer dans ces espaces de plaisir, mais aussi de béatitude.